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  • Les économies

Les restrictions dues à la période d’occupation n’ont pas seulement concerné les denrées alimentaires. A peu près tout manquait, entre autre le papier. Quand je vois aujourd’hui comment est utilisée, même gaspillée, cette fourniture, je me souviens d’un temps où les journaux paraissaient sur une seule feuille, Le Parisien au recto, L’Oeuvre au verso.

Les commissariats n’ont pas échappé à cette pénurie. Les compte-rendus, rapports et écrits de toutes sortes s’établissaient, au mieux sur des pages arrachées dans des petits cahiers de brouillons des écoliers, au pire sur n’importe quels bouts de papier de récupération.

En ces temps, la circulation automobile était réduite, voire nulle. Cependant, le problème du stationnement, même modeste, se posait déjà. Les procès-verbaux étaient établis sans en aviser les contrevenants et donnaient ainsi lieu à des contestations.Un petit groupe de gardiens de la paix de Boulogne eurent l’idée de découper les marges non imprimées des journaux pour en faire des avis qu’ils déposèrent sur les pare-brise, sous l’essuie-glace… les “papillons” étaient inventés !

Je ne suis pas sûr que les intéressés apprécièrent. ont-ils seulement cru qu’il s’agissait de documents administratifs ?
Les agents cyclistes du commissariat portaient aux domiciles des particuliers des convocations officielles qui n’avaient d’ailleurs pas plus d’allure.

La pénurie perdura encore longtemps.

Je me souviens qu’en septembre 48, le building de l’ONU étant en construction à New-York, l’organisation s’était installée provisoirement à Paris – au Palais de Chaillot. Détaché au service “international” !! Nations Unies sécurité, j’ai eu la stupéfaction de constater le gouffre existant entre société de consommation à l’américaine et société de restriction à la française. A Chaillot, les tonnes de papier écrasaient les pauvres feuilles de brouillon du commissariat de Boulogne. Le gaspillage des employés, à lui seul, aurait assuré son ravitaillement pour plusieurs années.

La session parisienne de l’ONU terminée, j’ai rejoint mon poste. en plusieurs voyages, les surplus américains abandonnés à Chaillot furent transférés au secrétariat de la police boulonnaise.

« Pour une fois, p’tit con, tu nous auras rendu service ! »

Tout n’a qu’un temps.

Le papier revenu, les cars de mieux en mieux équipés, attribués dans chaque commissariat, puis les voiturettes, banalisées ou non, la police moderne, quoi ! on allait avoir, nous aussi, droit au gaspillage, mais à la française, c’est-à-dire économiquement, administrativement, par exemple : pour ne pas gaspiller l’essence, un système de répartition fut créé… mais seulement pour le car police-secours, les autres voitures ne comptaient pas. il fallait donc économiser les sorties du car de secours… au point où le car de sceaux (où je fus affecté comme brigadier… ma première réelle promotion) ne transportait pas les blessés à l’hôpital. Le chef de car demandait l’envoi d’une ambulance de la commune dont dépendait l’accident. il fallait attendre sur place l’arrivée de cette voiture, quelquefois longtemps… trop longtemps.

Jeune brigadier, et toujours aussi naïf, je ne comprenais pas cette attente, alors que je disposais du personnel et du matériel pour faire le transport, urgent de surcroît. Tout naturellement, à ma première intervention, je décidais, négligeant les avertissements de mes nouveaux collègues, de procéder au transfert du blessé à Cochin.

A mon retour au poste, mes anciens, inhabitués à cette pratique, me prédirent toutes sortes de réprobation de la hiérarchie locale. J’étais bien un peu inquiet, quoique dans mon droit, et je m’attendais au pire. Nous étions d’ailleurs plusieurs jeunes gradés à procéder de cette façon et jamais nous n’avons eu de reproches, et pour cause…

J’ai su, beaucoup plus tard, que les économies ainsi réalisées n’étaient pas pour le bénéfice de la collectivité publique. L’essence ainsi détournée servait à remplir les réservoirs des voitures particulières des petits décideurs locaux. Compte-tenu que les autres véhicules du commissariat n’étaient pas contingentés en carburant, la gratte devait être profitable.

(« Toi, p’tit con, tu vas un peu trop loin ! )

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